MS.51, le témoignage unique

Les seuls témoignages directes des circonstances de la bataille de Tinchebray se trouvent sur un simple feuillet d’un manuscrit conservé en Angleterre, à la Bibliothèque Bodléienne de l’Université d’Oxford : le manuscrit Jesus College MS.51.

Vue depuis la terrasse de la Weston Library – Oxford

The Bodleian Library

Bodleian Oath

« Je m’engage à ne pas retirer de la Bibliothèque, ni à marquer, dégrader ou endommager de quelque manière que ce soit, tout volume, document ou autre objet lui appartenant ou dont elle aurait la garde ; à ne pas introduire dans la Bibliothèque ou à n’y allumer ni feu ni flamme, et à ne pas fumer dans la Bibliothèque ; et je promets d’obéir à toutes les règles de la Bibliothèque »

Jesus College MS.51

Le Manuscrit Jesus College MS.51 est un volume rédigé et compilé au cours du XIIe siècle par les moines de l’Abbaye d’Evesham, située à quelques dizaines de kilomètres d’Oxford. Il est constitué de 105 feuillets de parchemin, disposés « poil contre poil, chair contre chair ».

MS.51 est principalement composé deux textes, De tabernaculo et De ponderibus, écrits au cours du VIIIe siècle et attribués au moine exégète Bède le Vénérable. Ils ont ici été recopiés d’une seule main et d’une écriture caractéristique du début du XIIe siècle. Ces deux textes occupent à eux seuls 103 des 105 feuillets. Ce sont des œuvres de théologie connues et relativement répandues… et sans aucun rapport avec notre sujet…

Car notre histoire, tout comme la raison de notre visite, est à chercher ailleurs, aux confins du livre, dans les pages laissées vierges.

Au XIIe siècle, le parchemin est une ressource coûteuse que les moines s’appliquent à utiliser au mieux et avec parcimonie. Il n’est pas rare alors de voir les espaces vides des manuscrits comblés d’ajouts divers, de notes jugées dignes d’intérêt, utiles ou curieuses.

Les moines d’Evesham ont ainsi profité des derniers folios 104 et 105 inutilisés pour y copier, pêle-mêle, une mise en garde sur les relations consanguines, une table d’abréviations d’unités de mesure, un jeu d’écriture, un exercice de logique, des extraits de poèmes, des essais de plumes et de lettrages…

Et au milieu de tout cela, un texte inattendu.

Le folio 104, aux confins du manuscrit.

La lettre du roi Henri à l’archevêque Anselme de Cantorbéry

Sur le recto du folio 104, en haut de page et d’une écriture du début de XIIe siècle, on trouve la copie d’une lettre du roi Henri destinée à l’archevêque Anselme de Cantorbéry :

La miséricorde de Dieu a livré en nos mains le duc de Normandie.”

« Henri roi des Anglais à Anselme archevêque de Cantorbéry, salutations et amitiés.

Nous écrivons afin de faire savoir à votre Paternité et Sainteté que, par un jour nommé et fixe, Robert, duc de Normandie, avec toutes les forces de chevaliers et d’hommes d’armes qu’il put recueillir à force de supplications et d’argent, se battit contre moi avec acharnement devant les murailles de Tinchebray et, à la fin, par la miséricorde de Dieu, la victoire fut à nous et cela sans grande tuerie des nôtres.

Quoi de plus ? La miséricorde de Dieu a livré en nos mains le duc de Normandie, le conte de Mortain, Guillaume Crispin, Guillaume de Ferrières, l’ancien Robert d’Estouville, et d’autres au nombre de quatre cents chevaliers et dix-mille à pied, et la Normandie elle-même. De ceux que le combat a tué nous n’avons pas d’estimation.

Et ceci, je l’attribue non pas à mon orgueil ou à mon arrogance, ni à ma force, mais à un don de Dieu qui en a disposé ainsi. C’est pourquoi, mon vénérable père, je me jette aux genoux de votre Sainteté. Je vous supplie humblement et avec dévotion de prier le Juge Éternel, grâce à la disposition et à la volonté Duquel, ce triomphe glorieux et bénéfique m’a été accordé, et qu’il ne soit pas ma perte ni mon détriment, mais qu’il conduise à l’initiation de bonnes œuvres et au service de Dieu et à la préservation et au renforcement de la Sainte Église de Dieu, dans la paix et la tranquillité, pour qu’elle puisse demeurer libre et préservée des tempêtes et des guerres.

Attesté Waldric le chancelier. A Elbeuf. »

La lettre du prêtre de Fécamp

“Et maintenant, grâce à Dieu, la paix est restaurée sur notre terre.”

« A mon seigneur, le prêtre de Sées, le prêtre de Fécamp envoie ses salutations et ses prières.

J’apporte de bonnes nouvelles, mon seigneur, dans la mesure où je vous sais avide de nouvelles en la matière. Notre seigneur roi s’est battu avec son frère à Tinchebrai le 28 Septembre à la troisième heure.

La bataille fut ainsi disposée. Sur la première ligne étaient les hommes du Bessin, de l’Avranchin et du Cotentin, et ceux-ci étaient tous à pied. Sur la deuxième ligne était le roi avec grand nombre de ses barons, et eux aussi étaient à pied. Sept-cents chevaliers montés étaient placés avec chaque ligne ; et à part ceux-ci le conte du Maine, et Alain Fergaunt, conte de Bretagne, flanquaient l’armée avec environ un millier de chevaliers montés. Tous les suiveurs et les servants du camp furent envoyés loin à l’arrière de la bataille. L’ensemble de l’armée du roi peut être estimé à quarante mille hommes.

Après que la bataille a duré seulement une heure, Robert de Bellême se retourna et s’enfuit, et tous ses hommes se dispersèrent. Le comte lui-même fut capturé, et le comte de Mortain avec ses barons, et mon ami Robert d’Estouville. Tous les autres disparurent. Alors cette terre fut soumise au roi. Je ne dois pas manquer de vous signaler cette merveille : le roi dans cette bataille n’a perdu que deux hommes ; et seulement un fut blessé, du nom de Robert de Bonnebosc.

Quand je vins au roi, il me reçut très gracieusement à Caen, et m’accorda volontiers toutes ces choses qu’il avait confisquées de notre terre. Et maintenant, grâce à Dieu, la paix est restaurée sur notre terre. Prions que cela continue, et que Dieu puisse nous accorder une bonne santé d’esprit et de corps. Adieu »

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